GABON : Déclaration de Casimir Oye-Mba sur l’interview de Mme Mborantsuo sur Jeune Afrique
Mesdames, Messieurs les journalistes,
Nous vous remercions d’avoir répondu à notre appel en ce jour dédié au repos, et aux activités religieuses, pour ceux d’entre vous qui sont des Chrétiens. Nous vous savons ainsi gré d’avoir accepté de venir nous écouter en cette période cruciale et déterminante pour l’avenir de notre pays. Vous le savez : depuis l’annonce des résultats provisoires de la présidentielle du 27 août dernier, notre pays a sombré dans une crise politique inédite, certainement la plus grave de son histoire. Constatant que le ministre de l’Intérieur s’était livré à des manipulations et arrangements grossiers avec la vérité des urnes, les populations ont laissé éclater leur colère et leur frustration. En réponse, confirmant ainsi son forfait, le pouvoir établi a choisi la voie de la répression aveugle, laissant ainsi sombrer la pays dans une brutalité jamais observée avant. Depuis ce 31 août 2016 de triste mémoire, la justice se résume, comme jamais avant, à la loi du plus fort. Les forces de défense et de sécurité agissent comme des milices ou des bandes armées, semant la mort et la désolation au sein de la population. Les institutions se comportent comme des supplétifs du Parti démocratique gabonais (PDG), en se mettant au service exclusif de son candidat, Ali Bongo. Dans ce climat, le Gabon tout entier s’interroge sur son avenir.
Mesdames, Messieurs les journalistes,
Nous entendons évoquer, devant et avec vous, le sens et la portée de l’interview accordée, ce 15 septembre 2016, par la présidente de la Cour constitutionnelle à l’hebdomadaire Jeune Afrique, dans son édition électronique. Nous relevons d'abord qu'il n'est pas usuel que des responsables de ce type d'organisme s'epanchent la presse, surtout dans une période aussi sensible que celle que nous vivons. Nous voudrions aussi, convoquer la Constitution de la République. C’est ce texte, pour mémoire, qui fixe les principes de notre vivre ensemble, ainsi que l’organisation et le fonctionnement de notre Etat. C’est aussi lui qui nous met à l’abri de l’arbitraire, garantit à chacun le respect de ses droits et répartit les compétences entre les différentes institutions de la République. En son article 90 alinéa 3, la Constitution dispose que, lors de leur entrée en fonction, les membres de la Cour constitutionnelle prêtent le serment suivant : «Je jure de remplir consciencieusement les devoirs de ma charge dans le strict respect de ses obligations de neutralité et de réserve et de me conduire en digne et loyal magistrat». Or, à la lecture de la version électronique de l’hebdomadaire Jeune Afrique, on découvre que, non satisfaite de s’épancher publiquement sur les tenants et aboutissants du contentieux électoral soumis au jugement de la juridiction qu’elle préside, la présidente de la Cour constitutionnelle fait siennes la thèse et les arguments de M. Ali Bongo. En agisant ainsi, la Présidente de la Cour constitutionnelle assure publiquement la defense du mémoire en réponse que Monsieur Ali Bongo à déposé auprès de la Haute Cour et qui, rappelons-le, est soumis au secret de l'instruction. "Obligations de neutralité et de réserve", dit la Constitution. Or, comme Monsieur Ali Bongo dans son mémoire en réponse devant la Haute Cour, la Présidente de la Cour constitutionnelle déclare devoir aller au-delà de l’objet de la saisine de Jean Ping pour s’intéresser aux provinces du Woleu-Ntem et de l’Estuaire. Comme lui, elle accuse certains candidats de s’être autoproclamés président de la République. Comme lui, elle se livre à des commentaires et analyses relevant davantage du sentiment personnel ou de l’approche politicienne que du droit. Voilà le spectacle que la présidente de la Cour constitutionnelle nous a malheureusement donné à voir, et qui justifie notre prise de parole de ce jour.
Mesdames, Messieurs les journalistes,
Devant vous et à la face du monde entier, nous tenons à marquer notre étonnement et notre indignation face à cette prise de position de la présidente de la Cour constitutionnelle , affranchie de son devoir de réserve et de son obligation d’impartialité, pour se faire le relais des opinions d’un camp politique. Nous le dénonçons aussi solennellement que nous proclamons qu’elle vient d’en rajouter au climat de défiance et de méfiance qui préside aux relations entre la Cour constitutionnelle et le peuple gabonais. Pour n’avoir pas respecté son serment et volé au secours d’un camp politique qui refuse, à la face du monde, de se plier au verdict des urnes, quitte à précipiter le pays dans le chaos, la Présidente de la Cour constitutionnelle vient de dilapider le reste de crédit que l’on pouvait encore lui accorder. Elle n’a plus, de ce fait, l’autorité morale requise pour conduire la Cour constitutionnelle dans ce processus si délicat de l’histoire de notre pays. Elle doit, en responsabilité, tirer toutes les conséquences de sa prise de position politique. Nous le disons parce que nous ne voulons pas d’une décision politique couverte d’un vernis juridique. Nous le demandons parce que nous prenons toute la mesure de la gravité de la situation présente. Nous le recommandons parce que nous redoutons les conséquences d’une décision inique sur notre avenir en tant que peuple et en tant que nation. Nous l’affirmons parce que nous entendons ces clameurs qui remontent de nos quartiers, villes et villages, parce que nous prêtons l’oreille à cette colère de nos compatriotes qui grondent et disent leur détermination à faire respecter leur choix, à s’opposer à toute volonté de dévoyer leur vote. Nous rappelons que l’alinéa 2 de l’article 9 de la Constitution qui, parlant de l’élection du président de la République, dispose que : «L’élection est acquise au candidat qui a obtenu le plus grand nombre de suffrages». Nous lui demandons de s’en tenir à cette prescription constitutionnelle plutôt que de se livrer à des interprétations et analyses du contexte politique et du déroulement de la dernière campagne présidentielle. Il est dans l’intérêt de tous, et de la Cour constitutionnelle notamment, que son actuelle présidente tire les conséquences de cette interview malheureuse. Nous pensons qu’elle s’est trop éloignée des devoirs de sa charge pour garantir la sérénité de la suite de la procédure en cours. C'est pourquoi nous l’invitons à prendre ses responsabilités, à agir en conscience, dans l’intérêt de la Cour constitutionnelle, de la République et de la nation. C’est à nos yeux, un devoir éthique et moral autant qu’une question de responsabilité devant le peuple gabonais et devant l’histoire. Notre appel à la responsabilité n'est pas fondé sur notre soutien à Jean Ping. Il tient à une conviction profonde, à savoir : la légitimité d’une institution et de ses décisions tient aussi bien à la confiance du peuple qu’au respect de la règle de droit.
Mesdames et Messieurs les journalistes,
Nous avons foi dans le Gabon. Nous aurions aimé qu’il fit l’actualité internationale du fait de ses performances économiques ou de sa gouvernance démocratique et non en raison des errements des dirigeants de ses institutions. Notre seul intérêt est celui du Gabon et de son peuple. Nous n’avons d’autre ambition que de servir notre pays, d’en garantir le rayonnement et d’ouvrir aux jeunes générations des perspectives nouvelles. Nous souhaitons que les responsables d’institutions s’inscrivent dans ce sillage. C’est pourquoi, nous invitons, une fois encore, la présidente de la Cour constitutionnelle à prendre toute la mesure du contenu de son interview et à agir dans le sens de la défense de l’intérêt général.
Nous vous remercions.