LE CONGO N’EST PAS LA PROPRIETE DES N’GUESSO
« N’y va pas ! » me disait ma mère avec insistance, des larmes dans les yeux en tentant de me retenir. Sur le pas de la porte que j’allais refermer sur elle, cruellement je lui répondis : « je ne veux pas mourir comme Papa à 47 ans sans avoir jamais ramené un salaire ! » Il n’était pas encore 11 heures, ce matin du 27 septembre 2015. Sans entendre geindre notre mère, je quittais alors la maison pour rejoindre le Boulevard Alfred Raoul avec ma jeune sœur de 15 ans à peine, que je tenais d’une main et dans l’autre le drapeau tricolore congolais. Nous avions fait le choix de partir sans déjeuner, ainsi nous pourrions courir plus vite en cas de nécessité.
A quelques mètres de la parcelle, nous retrouvâmes quelques inconnus de nos âges qui allaient dans la même direction. En approchant du Boulevard, où devait se tenir le rassemblement, nous nous sommes mis à chanter. Chacune de nos chansons était entrecoupée par le cri de colère de ma petite : « Sassou est un voleur ! » ; nous n’avions pas le cœur à rire en l’entendant. En mettant le pied sur le long boulevard, il paraissait si vide qu’on en a eu presque peur. Ma petite révolutionnaire, toute aussi émue que je pouvais l’être alors, me serra fort dans ses bras pour bien me faire sentir qu’elle ne reculerait pas. Puis comme par miracle, au fur et à mesure que nous avancions du centre où se trouvait la modeste estrade, des manifestants jeunes, tous jeunes, sont venus de toutes parts ; nous étions quelques petites centaines, nous devenions des milliers.
Non loin de nous, en retrait, se tenait un grand gaillard immobile ; il portait une pancarte écrite en rouge. On pouvait y lire : « LE CONGO N’EST PAS LA PROPRIETE DES N’GUESSO ». Un petit groupe s’approcha de lui et l’un d’eux proposa de lui payer son écriteau. Le gaillard impassible lui dit qu’il n’était pas à vendre. « Pourquoi ? Voilà 10.000 » enchérit l’acheteur. « Je ne peux pas ! Je n’avais pas de peinture alors je l’ai écrit avec mon sang… » Répondit-il avec flegme et toujours sans le moindre mouvement. Tout le petit groupe recula sans demander son reste et un grand frisson parcouru mon corps ; pas un instant il ne m’était venu à l’esprit que ce garçon pouvait, pince-sans-rire, plaisanter.
Tous les chants, tous les slogans se mélangeaient dans un joyeux brouhaha au fur et à mesure que la foule se faisait plus compacte. Nous n’avions bientôt plus la place pour la moindre danse. Alors, je dis à ma petite qu’elle ne devait pas me lâcher et si nous devions être séparés qu’il vaudrait mieux qu’elle rentre immédiatement à la maison. Un cinglant « pas question » me parvint pour toute réponse et elle se rapprocha de moi.
Nous étions des dizaines de milliers maintenant à nous agglutiner au point de rendez-vous, une véritable marée humaine inondant le Boulevard des Armées. Un même espoir illuminait nos regards et faisait vibrer nos chants : celui de nous libérer d’un humiliant esclavage bien plus que d’une opprimante tyrannie. Les hélicoptères se sont mis alors à survoler à distance notre foule compacte. Pas un de nous, par réflexe ou par crainte, n’a cherché un refuge ni un abri ; et chacun de tendre son bras nu et son poing fermé contre le bruyant oiseau de fer avec ses armes de guerre ; et chacun de le défier, de l’invectiver, de le provoquer et d’en rire. « Nous n’avions pas peur ! » Et nous n’aurons plus jamais peur de ce petit clan qui nous affame, qui a brisé notre jeunesse pour la laisser sans avenir, comme toute la génération de nos parents. Nous ne serons plus dupes des slogans creux et des mensonges d’un président, putschiste multirécidiviste, psychopathe pathologique totalement livré à sa jouissance personnelle, à sa folie des grandeurs, alors que nous, son peuple, nous manquions de tout.
Les orateurs se sont alors succédés à la tribune. Desservis par une sonorisation médiocre, nous en savourions néanmoins les bons morceaux : Parfait Kolelas dans un début de Mea Culpa pour avoir aidé le régime, le signe d’un Grand Homme sachant reconnaitre ses erreurs. André Okombi-Salissa galvanisant la foule comme il le fit avec ses troupes du front 400 pendant la guerre de 1997, nous assurant que le Congo allait rejoindre tous les pays africains qui s’étaient libérés. Au moins pourra-t-il nous éviter le goût du sang que nous a promis à Kinkala, le dictateur Sassou-N’Guesso dont le chant guerrier fut entonné pendant le discours de « Tout bouge » nous rassurait : « Okombiéé éh, Okombiéé éh , zwa yé, boma yé ( Okombi chope-le et massacre-le) ». Dans la ferveur générale, je me surpris en train d’applaudir Claudine Munari, la « P… de la République » comme certains la surnomment, alors qu’elle haranguait la foule comme une poissonnière qu’elle fut également. Pardon, importatrice de poissons !
Nous étions 100.000 et bien plus et nous n’attendions qu’un ordre, un seul, celui de nous rendre au Palais ! Cet ordre n’est jamais venu…bizarrement… ! Pourtant, pour le Peuple, Denis Sassou NGuesso a bel et bien franchi « la ligne rouge » le 22 septembre 2015, en annonçant son référendum anticonstitutionnel. Je ne pouvais croire qu’une nouvelle trêve politique avait été signée dans le dos du Peuple ?
La rumeur insistante qui courût pendant les Jeux africains me revenait à l’esprit. MM. Romain Kimfoussia et Jean Lounana Kouta avaient, disait-elle, négocié la trêve auprès des cercles maçonniques congolais ! Mais à quoi bon écouter ces ragots des quartiers sud de Brazzaville comme c’est déjà le cas pour notre télévision nationale.
En prenant le chemin du retour, nous étions 100.000 et bien plus à en être déçus. Il dura des heures, tant nous étions nombreux dans le long cortège à nous échanger impressions et commentaires. Pas un d’entre nous ne rendait grâce au Ciel de rentrer sain et sauf. Beaucoup se serait vus morts pour avoir renversé la dictature infâme. J’en étais. J’en suis encore !
Au fil des heures nous nous sommes dispersés, mais nous étions unis plus que jamais. A aucun moment quiconque n’a évoqué sa région, son origine, son quartier. Nous communions dans une belle et forte fraternité et il était acquis que nous nous retrouverions bientôt dans la lutte ; sur le Boulevard des Armées ou partout ailleurs, en espérant dynamiser la Résistance pacifique qui nous a cruellement fait défaut ce 27 septembre 2015 à Brazzaville.
Il était très tard dans la soirée quand heureux et fatigués nous mettions enfin pieds dans la parcelle. Dans l’obscurité profonde, assise sur son banc se tenait notre mère. Elle n’esquissa pas le moindre geste pour bien nous montrer qu’elle s’était déjà résignée à ne plus jamais nous voir rentrer. Elle murmura d’une voix très lasse « je vais vous servir à manger » ! Rassasié du vent de liberté qui avait soufflé toute la journée et auquel je n’avais jamais goûté, je lui répondis que je n’avais pas faim pendant que ma petite Che Guevara allait se blottir dans ses bras. J’allais directement me coucher impatient d’être déjà demain au « Cyber » pour découvrir ce que le monde et nos sites de l’opposition avaient pu retenir de ce 27 septembre à Brazzaville. Peut-être nous reconnaîtrai-je, avec ma petite sur une photo ou dans une vidéo ?
Pendant que mes yeux se fermaient d’épuisement, je formais le vœu de vivre dans un Congo libéré de Sassou Nguesso et de sa horde de pillards. Je faisais partie des 90% recalés au Bac mais je me jurais, dans le Congo libéré de la médiocratie qui le dirige, de reprendre et de réussir mes études. Le goût de la lutte m’avait conquis totalement dans ce rassemblement populaire.
Nous ne resterons pas plus longtemps les esclaves de ce voleur de Sassou et, pour survivre, ma petite bien-aimée n’ira pas se prostituer chez ses complices.
Par Sylvain Milandou
au changement de la constitution
Brazzaville, Steve OBORABASSI pour la Voix du Peuple