* Monsieur le premier secrétaire, que pensez-vous du message sur l’état de la Nation prononcé par le chef de l’Etat?
** Je suis redevenu député en 2007, après une éclipse de dix ans qui correspond à mon temps d’exil. En huit ans de vie parlementaire, j’ai suivi neuf messages du président de la République sur l’état de la Nation. Celui du 12 août dernier avait la particularité d’être plus dense que les précédents, mais surtout avait des accents de discours de campagne électorale, assis sur la polémique, un style d’ailleurs que le président de la République affectionne tant, quand il s’adresse à ses adversaires politiques.
Pourtant, nous ne sommes pas encore en 2016, année de la prochaine élection présidentielle à laquelle constitutionnellement, il n’a plus le droit de se représenter. A chaud, j’ai réagi à ce message à la radio et la télévision. En relisant le texte, en décortiquant son contenu, j’ai retrouvé ce qu’il y a de constant dans la personnalité du président Sassou, à savoir: la rancune tenace. En rejetant tout sur son prédécesseur, le mouton noir, qui n’aura rien fait dans ce pays et en se couvrant, lui le cheval blanc, de tous les succès dans tous les secteurs: politique, économique et social.
Nous croyions qu’il en était affranchi, après tant d’années de pouvoir, qu’il était capable de se surpasser. Eh bien non, et ce malgré tous les faux semblants et ces vraies fausses réconciliations. Malheureusement pour lui, ce qu’il ne peut pas faire oublier aux Congolais, même les plus amnésiques, c’est la vérité de son bilan des années 80, objectivement fait par l’historique Conférence nationale souveraine de 1991.
Le désastre, sans doute réel, qui transparaît dans la gestion de la décennie suivante, celle des années 90, Pascal Lissouba a indubitablement sa part de responsabilité. Mais, relativisons les choses et soyons justes. Elu démocratiquement, comme aucun de ses prédécesseurs depuis l’indépendance ne l’avait été, Pascal Lissouba a trouvé un pays exsangue. Traînant un lourd endettement qui faisait du Congo, avec ses trois mille milliards de francs Cfa de dette, le pays le plus endetté en Afrique par tête d’habitants. N’étant plus éligible au sein des institutions financières internationales, aucun pays ne pouvait lui faire crédit. Voilà donc le 31 août 1992, le Congo dont Pascal Lissouba a hérité au plan économique et financier. On a tendance à l’oublier.
C’est le dernier message du septennat sur l’état de la Nation. Est-ce que c’était une mauvaise idée que le président Sassou-Nguesso saisisse cette opportunité, pour faire le bilan de ses deux septennats à la tête du pays?
Non pas du tout. Le reproche que je lui fais ce n’est pas tant d’avoir esquissé un bilan qui remonte à la décennie 90, mais qu’il n’ait pas reconnu et dit sa propre responsabilité dans ce qui a été le Congo de ces années-là. En répartissant les responsabilités sur ces dix ans, Pascal Lissouba en compte personnellement quatre et demi, André Milongo, une année et Denis Sassou-Nguesso autant que Pascal Lissouba. Soit quatre années et demie. Les en a-t-il assumées? Non, puisque selon lui, les guerres civiles, la partition du pays, les milices armées privées, la mégestion, les abattements et le non-paiement des salaires et des indemnités des fonctionnaires, c’est Pascal Lissouba. En revanche, le redresseur des torts dont, selon lui-même, il n’est, ni de près ni de loin responsable, c’est lui.
En tant qu’ancien parti au pouvoir, vous vous êtes senti indexés par son message?
Oui, nous nous sommes reconnus dans les insinuations et surtout dans une attaque en règle contre Pascal Lissouba et contre l’U.pa.d.s au pouvoir en ces années-là. A sa décharge, Monsieur le premier ministre André Milongo n’a pu faire de miracle en si peu de temps, de sorte que nous prenions les destinées du Congo comme si au plan économique et social, il n’y avait pas eu cette année de transition. La priorité étant de doter le pays des institutions démocratiques au travers des élections libres et transparentes. Et en cela, André Milongo a fait le nécessaire. Sans une période de grâce, comme cela se vit sous d’autres cieux, Pascal Lissouba a dû se jeter dans la bataille du redressement économique et social du pays, au travers d’un plan d’abord de stabilisation, ensuite de relance, dont les résultats malheureusement se sont fait attendre, parce-que la grave situation économique et sociale, legs de son prédécesseur, s’était doublée, deux mois seulement après la prestation de serment, d’une crise politique toute aussi grave. Une motion de censure qui sanctionne un gouvernement qui n’avait même pas commencé à travailler. Cela ne s’était vu nulle part en régime démocratique. Mû par des considérations politiciennes et revanchardes, le P.c.t, associé à d’autres forces politiques d’alors, prenait la responsabilité de jeter le pays dans la discorde, l’affrontement et, in fine, dans la guerre de 1997, qui apparut comme la chronique d’une crise annoncée.
La motion de censure était due à vos querelles avec le P.c.t qui était votre allié, vous aviez la responsabilité de gérer le pays ensemble. Vous ne vous êtes pas entendus, n’est-ce pas cela qui explique la motion de censure?
Les parlementaires ne sanctionnent pas une crise politicienne, mais plutôt l’action du gouvernement, s’ils la jugent inconvenante pour le pays. En tout cas, la motion de censure de 1992, fondée sur des considérations subjectives et à laquelle le président de la République, le professeur Pascal Lissouba, avait répondu par la dissolution de l’assemblée nationale, est le déclenchement des hostilités réfutables que notre pays a connues. Et le président Sassou ne peut en être hors de cause. Le débat qui suivit ces deux grandes décisions, à savoir la motion de censure et la dissolution de l’assemblée nationale, ne reposait plus sur le fondement constitutionnel, mais sur le rapport de forces entre les deux camps. Certes, l’article 75 de la Constitution, de façon générale, faisait obligation au président de la République de nommer le premier ministre issu de la majorité à l’assemblée nationale. Mais, cette même Constitution (Article 80) donnait au président de la République le pouvoir de dissoudre l’assemblée nationale, sans que contrairement à ce que nous avons souvent entendu, il s’agisse d’un pouvoir lié. Le mot «notamment», auquel on prête peu d’attention, introduit dans cet article, en citant les différents cas qui justifient la dissolution, rendait discrétionnaire le pouvoir du président de la République. Et de toutes les façons, Pascal Lissouba ne tirait aucun avantage politique sur ses adversaires politiques, en renvoyant les députés fraîchement élus, devant leurs électeurs, qui allaient ou non renouveler leurs mandats. Il confiait la présidence de l’organisation des élections législatives anticipées à l’opposition et constituait un gouvernement d’union nationale, avec 60% des ministres issus de l’opposition et ce n’est pas tout, le contentieux électoral était géré par un collège arbitral international. Le président Sassou, peut-il faire autant?
Est-ce que, par le bilan, vous auriez voulu que le président de la République mette l’accent beaucoup plus sur la réconciliation, parce que vous êtes un ancien parti au pouvoir, qui a repris ses activités et qui participe à la démocratie aujourd’hui?
Bien sûr et c’est ce que je voulais dire! Quel intérêt il y a à revenir sur ce passé douloureux dont les plaies sont à peine cicatrisées? Qu’il s’agisse de la gestion économique et sociale du pays au cours de la décennie 90 ou des violences que le pays a connues dans la même période et qui ont mis à mal la cohésion nationale, le président de la République, le père de la Nation s’il l’est encore, doit faire preuve de retenue. Et pour dire la vérité, il n’en est pas moins responsable que les autres, et à certains égards, il pourrait en être le plus responsable. L’U.pa.d.s a tourné la page de ces années tragiques et s’en remet aux historiens qui, avec le recul du temps et des évènements, diront, avec l’impartialité que recommande leur profession, ce qu’il convient de retenir de nos responsabilités respectives.
C’est votre profession de foi jusqu’à aujourd’hui ou c’est une profession de foi que vous remettez en cause, parce qu’il y a eu le message du président de la République?
** Non, je ne remets rien en cause, je constate tout simplement que le président n’est toujours pas prêt à se réconcilier avec ses frères.
Il faut promouvoir alors la réconciliation nationale?
Nous n’avons fait que cela. Malheureusement, de même qu’on ne fait pas la guerre avec soi-même, on ne se réconcilie pas avec soi-même. Nous constatons, hélas, que le président Sassou n’a jamais accepté de faire la paix et donc de se réconcilier sincèrement avec ses frères avec lesquels il a fait la guerre: Lissouba, Kolelas et Yhombi. Sans doute parce qu’il avait été réveillé dans son sommeil par des canons. Ni en janvier 1998 au forum dit sur la paix ou en mars-avril 2001 au dialogue sur la paix, il n’a jamais créé les conditions d’une réconciliation véritable avec ses frères. Il a toujours recherché qu’ils lui fassent allégeance. Le président Kolelas, paix à son âme, ne nous dirait pas le contraire.
Vous pensez qu’il y a eu des démarches qui n’ont rien donné?
C’est lui qui est au pouvoir, c’est lui qui a la situation en main et donc qui peut prendre des initiatives. Mais, pense-t-il à tort, il les prendrait aujourd’hui pour qui et pourquoi, selon la formule consacrée de tout vainqueur: la soumission ou la mort.
Vous estimez qu’on a trop critiqué votre gestion des affaires publiques à l’époque ?
Nous l’avons dit au début de cette interview: quand nous accédions au pouvoir, le 31 août 1992, la situation du Congo était chaotique. Tout était au point mort. Il fallait, donc, reconstruire une économie en ruine. Avec un prix du baril de pétrole à 15 dollars et une production avant le gisement de Nkossa, qui ne dépassait pas les 80 mille barils par jour, -aujourd’hui on est à plus de 200 mille barils par jour-, il fallait faire preuve d’ingéniosité, pour redresser un pays arrêté et sans ressources. Et lorsque j’entends que Pascal Lissouba avait bradé le pétrole, en le vendant à 6 dollars à la société américaine Oxy, avec laquelle il avait signé une convention de prêt gagée sur nos ressources pétrolières à hauteur de cent milliards de francs Cfa, dette qui, par ailleurs, avait été aussitôt rachetée avec le concours de la Banque mondiale, je mesure bien la méchanceté des hommes. De sorte qu’à partir de fin 95, le Congo, qui sortait de loin, retrouvait sa crédibilité extérieure et redonnait espoir. Cette performance était reconnue et fortement commentée par Messieurs Camdessus et Ouattara, respectivement directeur général et directeur adjoint du F.m.i. En juin 1997, lorsqu’éclate la guerre sur fond de coup d’Etat, la situation économique du Congo est extraordinairement redressée:
- les salaires et primes des agents de l’Etat sont payés régulièrement depuis plus d’un an, avec les recettes hors-pétrole;
- le Congo fait face à ses obligations internationales;
- le service de la dette est assuré et honoré;
- l’investissement quoiqu’encore très faible est relancé.
Le cadre législatif de la gestion de notre principale richesse, c’est-à-dire le pétrole, est nettement amélioré, avec l’introduction du système de partage de production. Ce qui a eu pour conséquence, la maximisation des profits pétroliers, avec l’effet conjugué de la mise en production du champ de Nkossa. La transparence des revenus du pétrole était garantie, alors qu’aujourd’hui, bien que le Congo soit admis à l’I.t.i.e, une bonne partie des ressources pétrolières échappe au contrôle des institutions nationales et prend la direction des paradis fiscaux comme Hong-Kong, Pékin, les îles vierges. Certes, le pays s’est équipé en dix ans, cela est irréfutable. Mais, combien avons-nous engrangé réellement sur les revenus pétroliers? Combien a été dépensé? Quel est le solde et où est-il logé?
Dans le même ordre d’idée, qu’est devenu le compte ouvert à la Banque centrale, alimenté par les excédents dont le montant cumulé sur dix ans est estimé dix mille milliards de francs Cfa?
Nous l’avons toujours reconnu, en dix ans, le Congo s’est construit plus qu’il ne l’a été dans le passé. Mais, c’est tout aussi vrai que le Congo n’a jamais eu, en dix ans, autant de ressources financières, dont, tôt au tard, le pouvoir actuel devra justifier la gestion devant le peuple congolais.
Vous êtes parlementaire, est ce que le parlement n’a pas les chiffres?
La non-transparence des ressources pétrolières s’observe à travers l’enrichissement des dignitaires du pouvoir qui ne s’empêchent même plus d’étaler, au grand jour, les fortunescolossales constituées à partir des deniers publics non justifiés. En tout cas, rien de tel sous Pascal Lissouba, à moins que les preuves nous soient apportées.
Le pays abrite un évènement important, les jeux africains, avec des installations qui ont quand même coûté un budget important?
Un budget a été affecté à la construction des infrastructures de Kintélé, lequel, me semble-t-il, a été exécuté sur plusieurs exercices budgétaires. Selon nos informations, outre la part du Congo, sans doute la plus importante dans le financement des Onzièmes jeux africains, l’Union africaine a apporté un concours financier substantiel dont les autorités congolaises ne parlent jamais. Au total, rien ne saurait expliquer une dotation financière des jeux africains à partir de l’épargne budgétaire logée dans le compte spécial ouvert à la Banque centrale et dont le fonctionnement est assujetti à une autorisation du parlement.
Mais, que l’on me comprenne bien: je ne peux que marquer ma satisfaction de voir se dérouler, dans notre pays, un aussi grand évènement sportif qui commémore notre engagement pour l’Afrique, en ces années difficiles de notre histoire. Mais, de grâce, le pouvoir peut-il avoir une pensée pour feu le président Alphonse Massamba-Débat, l’initiateur des Premiers jeux africains?
Joachim MBANZA
au changement de la constitution
Brazzaville, Steve OBORABASSI pour la Voix du Peuple