Ma lettre au Ministre de la Jeunesse et de l'Education civique
Objet: Droit d'intervention
Mon monsieur le Ministre, mon cher Frère,
Lorsque j'ai eu vent d'un document en circulation sous votre seing, j'ai immédiatement pris des dispositions pour en prendre connaissance. J'ai constaté à sa lecture qu'il s'agissait d'une réponse à une lettre ouverte que le professeur Charles Zacharie BOWAO avait adressée au Président de la République le 20 janvier 2015.
Je vous ai reconnu dans cette démarche intellectuelle, d'autant plus que le caractère public de la lettre autorise encore chacun à manifester sa sensibilité à son égard. Je salue le procédé, pour marquer par la même occasion mon adhésion au commerce intellectuel dont la confrontation des arguments fait rejaillir la lumière qui éclaire nos choix individuels ou collectifs.
Passée l'approbation de la forme, je dois vous dire qu'en ce qui concerne le fond, mon désenchantement a été plus grand que mon enthousiasme de départ. Ce, parce que je vous ai aussi retrouvé dans la manière qui consiste à faire du droit explicatif pour justifier la négation des évidences.
Vous aviez pratiqué cette méthode autrefois dans une campagne avec certains citoyens de la RDC établis à Paris, avec lesquels vous aviez publié un livre que je ne peux citer pour ne pas en faire une publicité indue. Vous aviez alors entrepris ensemble de donner à consommer à l'opinion publique, que l'affaire dite des "disparus du Beach" était un montage de toutes pièces, une imagination. Je m'étais alors demandé où était passée votre humanité.
Cela dépassait mon entendement que vous ne preniez pas la mesure et la gravité de la situation. Des congolais, des centaines de congolais, rentrant dans leur pays, avaient été enlevés et portés disparus. Ils étaient en sécurité à l'étranger, ils se sont retrouvés en danger de mort dans leur pays, et ils sont morts.
Ce fait sans précédent dans l'histoire de notre pays était consternant. Il soulevait l'interrogation sur ce que nous étions devenus. Comment avait-on pu faire cela? Comment des congolais avaient-ils pu faire cela à d'autres congolais? C'était incompréhensible! C'était un Rwanda en miniature! Avec tout le respect que j'ai pour la souffrance indicible subie par les rwandais.
Dans une telle atmosphère, dans ce climat de profonde détresse des familles, vous aviez trouvé le courage, la force morale de vous lever pour expliquer partout, science juridique à l'appui, que cela n'avait pas eu lieu. Et vous aviez pris des citoyens étrangers pour vous aider dans une telle oeuvre. Vous êtes vous-même un père de famille. Quel que soit ce qui pouvait vous avoir guidé, quel qu'en avait pu être le mobile, comment fait-on pour dire à un père, à une mère, à un frère, et à une soeur, dont les larmes n'ont pas encore séché, qu'ils ont des illusions? L'être ou les êtres chers qu'ils ne voient plus, qu'ils ne reverront plus jamais, parce qu'on avait détruit les dépouilles pour ne pas laisser de traces, comment fait-on pour leur expliquer méthodiquement qu'ils hallucinaient?
Un procès avait été organisé à Brazzaville pour faire établir dans la procédure de Paris que l'affaire avait déjà été jugée, et ainsi invoquer le principe du non bis in idem, selon lequel nul ne peut être jugé deux fois dans une même affaire. Les juges de Brazzaville, devant les témoignages accablants, bien qu'ils n'avaient pas appliqué toute la loi dans ce jugement, avaient, en dépit des pressions du pouvoir, eu le courage de reconnaître les faits, et ordonné l'indemnisation des familles des victimes. Le crime du Beach n'était pas une illusion!
Des centaines de congolais, qui avaient foi dans la sincérité des autorités de Brazzaville, les autorités de leur pays, qui avaient organisé leur rapatriement de Kinshasa à Brazzaville par le fleuve, avaient pendant des semaines, été sélectionnés en fonction de leurs origines ethniques, enlevés, et portés disparus. Ce crime ne diffère des camps de concentration et des fours crématoires que par l'ordre de grandeur. Il est d'une gravité égale.
Pour que de pareilles choses ne se reproduisent plus jamais dans notre pays, tous les cadres, tous les citoyens, se doivent d'être de la plus grande vigilance et rigueur morale pour toujours condamner fermement la moindre atteinte à un droit fondamental de l'Homme. On ne peut permettre la moindre complaisance, aucun jeu de mot sur ce sujet. Chacun de nous doit être un bastion pour la vie et les droits de l'autre, quel qu'il soit.
Je vous demande à vous, et à quiconque lira cette lettre, de méditer cette pensée de MARTIN NIEMÖLLER, parlant de sa mésaventure avec les nazis; je cite, "Quand ils sont venus chercher les communistes, je n’ai pas protesté parce que je ne suis pas communiste. Quand ils sont venus chercher les Juifs, je n’ai pas protesté parce que je ne suis pas Juif. Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai pas protesté parce que je ne suis pas syndicaliste. Quand ils sont venus chercher les catholiques, je n’ai pas protesté parce que je ne suis pas catholique. Et lorsqu’ils sont venus me chercher, il n’y avait plus personne pour protester".
Monsieur le Ministre, je vous blâme pour le manquement grave à la morale, à l'honneur, et à la dignité dans cette affaire !
Vous devez encore et vous devrez toujours des excuses publiques à l'ensemble des parents et familles des disparus du Beach. Les morts vous regardent.
Pour ma part, ma modeste contribution à cette cause est de lancer l'idée de l'érection d'une stèle à la mémoire des victimes du Beach au site même où les enlèvements ont eu lieu. Et que le 5 juin, ce jour tristement inoubliable pour être à la charnière entre des évènements plus tragiques les uns que les autres, soit officiellement le jour où nous nous rappelons les uns les autres nos devoirs réciproques pour un meilleur vivre ensemble. Nous n'avons qu'une cinquantaine d'années d'apprentissage du vivre ensemble, il nous faut des lieux et des occasions pour consolider le lien qui nous unit chacun à tous les autres.
Pour lire le texte intégral, cliquez sur le lien ci-dessous :
Le pouvoir est vacant à Brazzaville : Ma lettre au Ministre de la Jeunesse et de l'Education civique
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