ENTRETIEN – DR BAKARY TRAORÉ : « IL Y A COMPLOT POUR TERNIR L’IMAGE DES FORCES ARMÉES MALIENNES »
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Entretien
Dr Bakary Traoré : « Il y a complot pour ternir l’image des forces armées maliennes »
Dr Bakary TRAORE est Consultant pour les questions sécuritaires dans le Sahel. Il est également Expert à la Mission d’Appui à la Refondation de l’État (MRE) au Mali. A ce titre il est certainement bien placé pour commenter cette énorme affaire de découverte d’un charnier à Gossi. De même qu’il n’existe pas de hasard en politique, il semble bien que les FAMA (forces armées maliennes), fassent l’objet d’une vaste et vile campagne de dénigrement. La cause ? Ce sont les énormes succès obtenus sur le terrain grâce à l’appui russe sur le plan de la lutte antiterroriste. Gossi était occupé par les troupes françaises. Ce charnier pourrait donc leur être imputé. Notre interlocuteur refuse sagement de spéculer sur cette question en attendant les conclusions de l’enquête immédiatement ordonnée par l’état-major des armées maliennes. Quant à l’accord d’Alger, celui-ci est hélas au point mort. Notre interlocuteur en démonte les points de discorde et d’achoppement, tout en déroulant la manière idoine de relancer efficacement et durablement ce processus.
Entretien réalisé par Mohamed Abdoun
La Patrie News : Quelle est votre première réaction à chaud face à la découverte du charnier de Gossi ? Et quelle est celle de la société civile malienne ?
Bakari Traoré : La découverte d’un charnier à Gossi près d’un camp anciennement occupé par la force Barkhane suscite en moi à la fois un sentiment de stupéfaction et d’indignation. Stupéfaction d’abord parce que ce charnier a été découvert moins d’une semaine après le départ des troupes françaises du camp de Barkhane situé à proximité de Gossi. Les FAMA (forces armées maliennes) sont tombées sur ce charnier par hasard après avoir pris possession des lieux. Tout se passe comme s’il était question de ternir l’image des forces armées maliennes. D’où mon sentiment d’indignation aussi. Ce sentiment d’indignation est d’ailleurs partagé par beaucoup de Maliens. D’autant que les FAMA sont en train de mener un travail remarquable visant à détruire les sanctuaires terroristes situés dans le centre et le nord du pays. Difficile de ne pas croire qu’un complot a pu être ourdi contre les FAMA pour leur faire endosser la responsabilité de cette découverte macabre. Je rappelle au passage que les FAMA ont bénéficié de nombreuses formations relatives au droit humanitaire et au respect des droits de l’Homme lors de leurs interventions sur le terrain. Voilà pourquoi les FAMA ont immédiatement enclenché une enquête pour situer les responsabilités. Il est en effet normal de faire parler le droit face à une pareille circonstance. Ces accusations occidentales concernant les droits de l’Homme me semblent d’autant plus surréalistes et irresponsables parce qu’elles sont balancées à la légère, et sans la moindre preuve. Ces accusations visent à mon avis à saper le moral des troupes maliennes. Elles trahissent également l’impuissance et la frustration des pays et armées qui ont lamentablement échoué au Mali en matière de lutte contre le terrorisme.
Le MAE russe a pris les devants dans une réplique anticipée en indiquant que des soldats de Barkhane tentaient de fabriquer de fausses preuves (vidé) pour se disculper des accusations qui allaient forcément être portées contre eux. Est-ce qu’on saura un jour avec exactitude ce qui s’est passé à Gossi, et un peu partout dans le nord du Mali, où avait sévi pendant des années la force Barkhane ?
La réaction du ministre des Affaires Etrangères russe Serguei Lavrov Par rapport à cette découverte macabre est à mon avis une réponse aux accusations portées contre les troupes de sécurité privées Wagner. C’est ce qui a dû motiver à mon avis cette sortie de la diplomatie russe. Comme je le disais tout à l’heure, la meilleure réponse a été » celle des FAMA, qui est celle de l’ouverture d’une enquête immédiate afin de situer les responsabilités de chacun relativement à ces faits macabres. Il faut donc faire confiance à cette enquête afin qu’on sache ce qui s’est réellement passé dans cette sombre affaire.
L’aide russe apportée aux FAMA a changé de manière incontestable la donne sur le terrain. N’y a-t-il pas crainte que le conflit ukrainien se répercute négativement sur la lutte antiterroriste au Mali, puisque déjà l’Occident commence par accuser l’armée malienne d’exactions et de crimes de guerre ?
L’aide apportée par la Russie a réellement permis d’engranger des résultats spectaculaires en cinq mois à peine, pas seulement au Mali, mais dans tout le Sahel d’une manière générale. Cette coopération a permis de débusquer et de traquer les terroristes au niveau de leurs différents sanctuaires. De jour en jour et de semaines en semaines, ces sanctuaires sont découverts et détruits. Au moment où je suis en train de vous répondre (nuit du samedi au dimanche. NDLR), les forces armées maliennes viennent de parler d’attaques simultanées et coordonnées contre trois positions des FAMA dans le centre du pays. Mais la situation demeure sous contrôle. C’est pour vous dire que la coopération maliano-russe a foncièrement changé les données sur le terrain en matière de lutte contre le terrorisme. Il ne se passe plus une seule semaine en effet sans qu’un nouveau sanctuaire terroriste ne soit découvert et détruit, des terroristes neutralisés et du matériel de guerre récupéré. Pas mal de plans machiavéliques terroristes ont été déjoués. C’est dire si cette coopération a été fructueuse. Ceci étant dit, à mon avis la guerre ukrainienne ne devrait pas avoir d’impacts négatifs sur la guerre antiterroriste. Du moins pour ce qui concerne le Mali. Bien au contraire. Cela renforce cette amitié et cette coopération entre Bamako et Moscou face aux ennemis communs que sont les terroristes. Ce conflit, en revanche, risque d’avoir des conséquences sur le plan économique et social. Depuis des décennies, le monde est entré dans une phase d’économie mondialisée. Cela est tellement vrai que même quand une crise éclate à l’autre bout de la planète celle-ci se répercute d’une manière ou d’une autre sur le reste du monde. Voilà un exemple concret concernant le Mali. Avant cette inflation, on pouvait se procurer 16 litres de carburant contre 10.000 CFA. Maintenant, la même somme ne permet d’acheter que 13 litres de gasoil. Cette crise ne va quand même pas impacter la détermination du Mali et de la Russie de continuer d’aller de l’avant. D’autant que le terrorisme a eu le temps de s’implanter profondément et durablement au sein des populations maliennes. Cette infiltration fait que la lutte antiterroriste est appelée à perdurer dans le temps.
Le peuple malien a massivement manifesté en faveur du départ des troupes françaises. Est-ce à dire que des exactions étaient subies et commises sans que l’on n’en sache rien ?
Effectivement, le peuple malien a massivement manifesté dans la rue pour exiger la reprise en main de son destin en matière de lutte antiterroriste. Il a également salué le départ de ces troupes étrangères, dont la présence sur son sol n’a apporté aucun résultat probant. S’agissant de ce charnier de Gossi, on ne peut accuser personne tant que l’enquête en cours n’aura pas rendu publiques ses conclusions.
Où en est la crise malienne, est-ce que l’accord d’Alger doit être rediscuté ou simplement « actualisé » ?
L’accord de paix issu du processus d’Alger est au point mort. Il est dans cette situation depuis bientôt six mois, pour ne pas dire un an. J’en veux pour preuve que le comité qui se réunissait tous les mois pour le suivi de ce processus, ne s’est plus réuni depuis plusieurs mois déjà. Certes, il ya encore des actions pour réunir les différentes parties signataires de cet accord afin que soient traités les points de blocages. Or, ce n’est pas encore le cas. Il y a eu le cadre du dialogue entre les groupes armés, appelés cadre stratégique permanent. Ce cadre a été renommé cadre permanent pour la réconciliation à la suite de la rencontre de Gao qui a eu lieu en mars dernier. Un blocage y est également apparu à cause d’une simple question de leadership. A savoir, qui va diriger les travaux de ce cadre-là. Globalement parlant, il y a désaccord de fond concernant la mise à neuf de l’accord d’Alger autour d’un point crucial, qui est celui du désarmement de tous les groupes. Il y a le DDR (démobilisation et réinsertion), qui a touché 1300 éléments, intégrés aux groupes de soutien des FAMA. Malheureusement, l’application de cet accord sur le terrain tarde à se mettre en place, s’agissant surtout du désarmement de tous les groupes armés, en parallèle au retour et à la montée en puissance des FAMA sur le terrain occupé jusque-là par ces groupes armés. Tant que ce point précis, qui est celui du désarmement, n’aura pas été réglé et bien réglé, aucun accord, quelle qu’en soit la qualité ou la pertinence, ne saurait être mise en œuvre efficacement sur le terrain. Il ya aussi le volet pendant relatif aux infrastructures de base en faveur des populations isolées afin d’y assurer un développement socio-économique harmonieux et équitable, le tout sur fond d’un retour permanent et efficient de l’administration dans ces localités. Ce très important engagement est du ressort des autorités maliennes et de leurs partenaires. Je garde bon espoir pour que ce cadre de dialogue et de concertation soit enclenché entre les différentes parties. Au-delà du cadre stratégique de concertation, il y a nécessité absolue pour chacun de manifester sa bonne volonté afin que cet accord soit porteur de fruits bénéfiques pour la population malienne.
Un mot sur les derniers évènements en Palestine ? Et au Sahara Occidental ?
Mon soutien est total et indéfectible pour les peuples sahraoui et palestinien qui luttent bravement et se sacrifient pour recouvrer leur souveraineté et leur indépendance. Le peuple malien, qui a souffert du joug de l’occupation coloniale, mesure à leur juste valeur la souveraineté et l’indépendance des peuples. Tous les peuples…
N.B : Dr Bakary TRAORE est Consultant Pour les questions sécuritaires dans le Sahel. Il est également Expert à la Mission d’Appui à la Refondation de l’État (MRE) au Mali.
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