Q : Depuis la réélection du Président Denis Sassou N’Guesso, l’on observe un silence de cimetière du côté de la classe politique congolaise. Que se passe-t-il exactement ?
R : Merci pour votre question. Je pense que le silence se situe, au-delà, de toutes les apparences du côté des gouvernants et surtout des institutions. Pour cela, il est certainement bon que nous fassions quelques rappels.
En effet :
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le 29 janvier 2021, le parti Unis Pour le Congo (UPC) de Paulin Makaya et la Fédération de l’Opposition Congolaise (FOC) ont adressé une lettre d’interpellation au Président de la République. Dans ce courrier, ils ont notamment relevé que :
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le Président de la République ne peut pas être Président du Parti congolais du travail ;
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le Parti congolais du travail n’est pas en conformité avec la loi, depuis près de dix ans et dans l’impunité totale :
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le 16 mars 2021, nous avons lancé un appel au boycott de l’élection présidentielle des 17 et 21 mars 2021. Appel qui pour nous a été très bien suivi et pour lequel nous avons tenu à remercier le peuple congolais.
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le 10 avril 2021, nous avons adressé une lettre ouverte à monsieur le Président de la Cour constitutionnelle, pour porter à sa connaissance que le Président de la République est en situation délicate d’incompatibilité constitutionnelle et que le Parti congolais du travail n’est pas en conformité avec la loi.
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Nous avons fait parvenir le 20 avril, une copie de cette lettre aux premiers responsables du Sénat, de l’Assemblée nationale, de la Cour Suprême, du Conseil économique, social et environnemental, de la Commission nationale des droits de l’homme ainsi qu’au Secrétaire Permanent du Conseil national du dialogue. Nous avons demandé à ceux-ci de tout mettre en œuvre pour que chacune des institutions qu’ils président, accorde une attention particulière à cette situation grave et préoccupante. C’est pour cela que je dis que le silence n’est pas à notre niveau. Nous attendons leurs réactions. Le silence est de leur côté.
Q : Dans son discours d’investiture, le Président de la République est revenu maintes fois sur le terme Etat protecteur. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
R : Pour moi, la notion de l’Etat protecteur est bien abordée au niveau de l’article 15 de la Constitution du 25 octobre 2015. Celui-ci circonscrit clairement que :
« Tous les citoyens congolais sont égaux devant la loi et ont droit à la protection de l’Etat.
Nul ne peut être favorisé ou désavantagé en raison de son origine familiale, ethnique, de sa condition sociale, de ses convictions politiques, religieuses, philosophiques ou autres. »
Aujourd’hui, un certain nombre d’indicateurs ne permettent pas à l’Etat de bien jouer ce rôle. A ce titre, on peut évoquer les aspects ci-après :
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la violation par les gouvernants dans l’impunité totale des lois et règlements de la République ;
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une justice partiale qui s’acharne sur les opposants et laisse en liberté totale sans la moindre inquiétude, les responsables des scandaleux crimes économiques et financiers ;
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un indice de la démocratie 2020 de 3,11 sur 10 classant le Congo comme pays à régime autoritaire c’est-à-dire une dictature.
A ce propos, il faut toujours avoir à l’esprit la déclaration faite par l’opposant Denis Sassou N’Guesso lors d’un meeting de l’URD-PCT en 1992 au Boulevard des Armées à savoir :
« Jamais, jamais, je ne pourrai accepter que la constitution soit violée…Lorsque la constitution est violée, les démocrates ne doivent pas l’accepter. »
Il a ajouté lors de son message sur l’Etat de la Nation 2020 que :
« Les difficultés de l’heure ne doivent pas nous amener à emprunter le chemin hasardeux et dangereux de l’anti-constitutionnalité. »
Bref, l’Etat protecteur suppose la bonne gouvernance, la transparence et surtout le respect des lois et règlements de la République.
Q : Que pensez-vous de la composition du gouvernement du Premier ministre Collinet Makosso ? Est-ce véritablement un gouvernement de large ouverture ? Quel message en retenez-vous ?
J’ai suivi beaucoup de commentaires sur ce gouvernement qui me semble-t-il se caractérise par la présence d’un nombre important de professeurs d’Université. Il compte 37 membres alors que le gouvernement sortant de Clément Mouamba n’en comptait que 34. Je relève à ce propos, que je m’attendais à une équipe plus resserrée avec le contexte actuel de notre pays et surtout les déclarations faites relatives à ce qui semblait être : la volonté politique de réduire le train de vie de l’Etat. Les congolais ont d’ailleurs été surpris qu’il ait été publié avec une liste additive en l’espace de 24 heures.
Les aspects qui ont le plus retenu mon attention sont les suivants :
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le retour très remarqué de Roger Rigobert Andely au Ministère des finances, après près de 17 ans. Il faut rappeler qu’il a été le principal artisan de l’accession du Congo au point de décision de l’Initiative Pays Pauvres Très Endettés (IPPTE), qui avait balisé le chemin de l’atteinte du point d’achèvement de cette initiative. Cela avait permis la réduction sinon l’annulation de la dette du Congo qui avait été ramenée à près de 20% du Produit intérieur brut (PIB).
Son départ du gouvernement avait surpris les congolais qui pensaient qu’avec la tendance haussière du prix du baril de pétrole en 2004 et 2005, le pays avait besoin de la rigueur qu’il imprimait. Non curieusement !
Il revient maintenant que tout est gâté et que le pays se trouve en état de cessation de paiement. Il apparaît comme le pompier. Pourra-t-il éteindre l’incendie ? That’s the question ? dirait-on en anglais.
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le départ du Ministre Mboulou du Ministère de l’administration du territoire qui peut s’interpréter comme son échec et son incapacité à œuvrer pour la tenue des élections libres, démocratiques, transparentes et crédibles dans le pays ;
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la présence dans cette équipe de plusieurs personnalités soupçonnées d’être responsables de plusieurs scandaleux crimes économiques et financiers, lesquels ont plongé le pays dans le chaos actuel, faisant ainsi apparaître l’impuissance de l’Etat et surtout de la justice à régler ces problèmes. Ceci bien sûr, en reconnaissant le principe de la présomption d’innocence.
Le silence observé par les gouvernants et surtout l’impunité observée, pendant que les congolais souffrent sont devenus à la fois intolérables et inacceptables.
En effet, cette équipe compte :
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près de 23 membres du Comité central du Parti congolais du travail soit 62%, dont 15 membres du Bureau politique ;
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trois (3) responsables des partis alliés (RC, RDPS, MAR) ;
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un (1) responsable de la COPAR qui se déclarait jusqu’alors de l’opposition mais qui a choisi la majorité présidentielle en soutenant la candidature du candidat du Parti congolais du travail et en battant campagne pour lui ;
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un (1) ancien dirigeant de l’UPADS qui a pris congé de son parti pour servir la République ;
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trois (3) généraux figurant depuis plus de dix ans au gouvernement, le reste étant des cadres congolais.
Il ne s’agit nullement du gouvernement de large ouverture
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Au plan de l’analyse statistique et sociologique, on peut constater qu’il y a douze entrants dont six sont des ressortissants du seul département de la Cuvette. Ce qui fait ressortir que ce département à lui tout seul compte 12 ministres, soit près de 33%. Il est suivi par le département des Plateaux qui lui en a 8, le Niari qui en possède 4. La Bouenza, le département le plus peuple du Congo n’en compte qu’un seul, comme la Cuvette Ouest et la Sangha.
Les départements de la partie Sud, pris ensemble (Kouilou, Lékoumou, Niari Bouenza et Pool) en comptent 12, autant que la seule Cuvette. Dans la Cuvette, on dénombre au moins 3 ministres pour le district de Boundji, 2 pour Makoua et autres.
Cela peut-il s’interpréter comme si la Cuvette était le seul département qui regorgeait des compétences. Cela pose véritablement le problème de l’unité nationale. En tenant compte du département des Plateaux, on découvre aisément que le gouvernement compte 17 membres du groupe ethnique du Président de la République soit 46%. Ce n’est pas un bon signal, surtout lorsqu’on réalise que les ministères régaliens sont essentiellement occupés par les membres de ce groupe.
Bref, ce gouvernement se caractérise par le renforcement de la gestion clanique. Il ne rassurera pas en ce qui concerne la bonne gouvernance, la transparence, la lutte contre les antivaleurs particulièrement la corruption, l’impunité, le respect des lois et règlements de la République et autres.
Le message est clair : la réalité du pouvoir est détenue par le groupe ethnique du Président de la République, les autres ne sont, à des degrés divers, que des simples accompagnateurs.
Q : Dès sa nomination en tant que Premier ministre, Anatole Collinet Makosso a dit restaurer l’autorité de l’Etat et engager le dialogue social, qu’est-ce que cela vous laisse dire ?
J’ai perçu à travers cela qu’il dressait un bilan négatif de l’action du Président et du gouvernement Mouamba dont il était membre. Je crois qu’il a voulu prendre l’engagement de faire autrement que cela ne s’est fait jusqu’à présent.
A ce propos, il arrive au bon moment car il y’ a une véritable grogne sociale et on est pressé de voir les résultats de sa nouvelle vision du dialogue social. Il sait que les congolais souffrent et doit agir, non pas à travers les déclarations, mais par des actes concrets pour trouver des solutions idoines et appropriées à ces conditions sociales inacceptables.
Pour les autres aspects, je peux relever que près de vingt-trois membres de ce gouvernement, ont fait partie des 2588 congressistes du Parti congolais du travail qui ont reconduit lors du 5ème congrès ordinaire, le Président de la République comme Président du Comité central, en fait Président du Parti congolais du travail. Ceci en violation flagrante de l’article 80 de la Constitution du 25 octobre 2015. C’est cela qui me permet de redire une nouvelle fois que le Président de la République est en situation délicate d’incompatibilité constitutionnelle et le Parti congolais du travail n’est pas en conformité avec la loi.
Le Premier ministre qui est un juriste et qui tient à restaurer l’autorité de l’Etat, doit accorder une attention particulière grave et préoccupante. D’autant que l’article 31 de la loi relative aux partis politiques prévoit dans ce cas la suspension du parti concerné.
Par ailleurs, dans le discours d’investiture du Président de la République, celui-ci a relevé ce qui suit :
« Nous l’aurons (l’autorité) pour appliquer à l’encontre des détournements de fonds, de l’enrichissement illicite et du favoritisme, une politique de tolérance zéro. J’y veillerai avec vigilance et sans faiblesse »
A ce sujet, les congolais sont en attente de l’exploitation de nombreux dossiers. Parmi ceux-ci, on peut citer : l’audit du compte de stabilisation où étaient censés être logés les 14.000 milliards d’excédents budgétaires, les malversations financières au Fonds de soutien de l’agriculture, les fonds débloqués pour une route imaginaire de 137 kilomètres, l’argent des congolais planqué dans les paradis fiscaux selon les révélations des Paradis papers, les problèmes soulevés dans le rapport de Global Witness et autres.
A tout cela, s’ajoutent les détournements à la Direction des systèmes d’information du Ministère des Finances et à la Caisse nationale de sécurité sociale. Tout cela permettra de mettre fin à l’impunité et de restaurer l’autorité de l’Etat
Q : Le « vivre ensemble en paix », vous y croyez ?
Je crois que le « vivre ensemble en paix » est très difficile dans un environnement dans lequel il n’y a pas respect des lois et règlements de la République, il n’y a pas égalité des citoyens devant la loi, il n’y a pas une justice impartiale, il n’y a pas répartition équitable de la richesse nationale, où l’on a choisi d’enrichir une minorité, où les dirigeants se servent au lieu de servir, où la majorité de la population s’enfonce chaque jour dans une misère indescriptible. S’il n’y a pas remise en cause fondamentale, je n’y crois pas.
Q : A propos d l’aide financière dont doivent bénéficier les pays africains pauvres, qui a fait l’objet d’une réunion à Paris, avez-vous un mot à dire de cette cagnotte concernant notre pays ?
Je ne crois pas au développement par l’aide. Les pays africains doivent prendre leurs destins entre leurs mains. Ils doivent s’assumer, rechercher leurs indépendances réelles.
Pour cela, il faut qu’ils suivent les conseils de l’ancien Président américain Barack Obama, à savoir : avoir non pas les hommes forts mais les institutions fortes.
A cela il faut ajouter qu’il faut gérer ces pays selon les règles de bonne gouvernance et de transparence, organiser des élections libres, transparentes et crédibles pour permettre à leurs populations de choisir leurs dirigeants, avoir la volonté politique de lutter contre les antivaleurs particulièrement la corruption. En cela, ils doivent s’inspirer de la déclaration suivante de Lee Kuan Yew, Premier ministre de Singapour à savoir :
« J’avais le choix entre deux chemins :
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le premier : voler de l’argent de l’Etat, enrichir mes amis et mes parents, appauvrir mon pays et en conséquence mettre mon pays dans la misère ;
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le deuxième : servir mon peuple et faire rentrer mon pays dans le rang des 10 meilleures nations du monde.
J’avais fait le deuxième choix »
L’expérience du Congo est pathétique. Notre pays était il y a quelques années le pays le plus endetté au monde par tête d’habitat. Dans la démarche qu’il a entreprise avec le Fonds monétaire international, il avait pu intégrer l’Initiative Pays Pauvres Très Endettés et avait atteint le point d’achèvement de celle-ci en janvier 2010. Cela avait permis l’annulation de la dette qui avait été ramenée à près de 20% du PIB. Cela lui ouvrait des belles perspectives de développement. Malheureusement, présentement cette dette est insoutenable. Aujourd’hui, le Congo réalise un triste record d’endettement. Le média belge, Business AM, place le Congo au 12ème rang des pays les plus endettés au monde avec une dette représentant 119% du Produit intérieur brut.
Puissions-nous les congolais en tirer les leçons et suivre la déclaration du Président Alphonse Massamba-Débat, selon laquelle il faut d’abord compter sur ses propres forces.
Propos recueillis par Michel Hadridh NKOLA