LES DESSOUS DE LA SPOLIATION DES REVENUS PETROLIERS CONGOLAIS
EXCLUSIF - A MIAMI et Paris, les villas congolaises acquises grâce aux pétroliers genevois par Marc Guéniat
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OUEST AFRICAIN
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Dans son nouveau costume de " docteur Honoris causa"
EXCLUSIF - A MIAMI et Paris, les villas
congolaises acquises grâce aux pétroliers
genevois par Marc Guéniat
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Qu’ont-ils fait avec l’argent? La justice suisse a établi en 2019 que la société genevoise de négoce Gunvor avait versé des pots-de vin à des officiels de Brazzaville pour obtenir des contrats pétroliers. Mais l’usage exact de ces fonds, totalisant 30 millions de dollars, demeurait mystérieux. Heidi.news est aujourd’hui en mesure de révéler que ces millions ont servi à l’achat de propriétés de luxe, à Paris et Miami.
De quoi on parle. Le Ministère public de la Confédération (MPC) poursuit ses investigations sur la corruption dans le pétrole congolais, entamées en 2011. En 2019, Gunvor a été condamné à payer plus de 90 millions de francs pour avoir corrompu des hauts-fonctionnaires au Congo-Brazzaville. L’année précédente, un ex-employé de la même firme avait déjà été sanctionné. Dans les deux cas, le procureur fédéral Gérard Sautebin était parvenu à démontrer que les pots-de-vin avaient servi à sécuriser des contrats importants, conclus entre 2009 et 2012. Ces commissions ont notamment profité à deux intermédiaires, via leurs comptes bancaires à Genève.
Le fils du « prési » à Paris. Heidi.news révèle que l’un de ces intermédiaires, le Congolais Maxime Gandzion, s’est offert des propriétés à Miami et à Paris. Mieux, selon un document de la police fédérale que nous avons pu consulter, un luxueux appartement dans la capitale française aurait été acquis par Maxime Gandzion pour le compte de Denis-Christel Sassou- A Miami, la somptueuse propriété de la famille Gandzion acquis avec les pots-de-vin versés par la société suisse Gunvor.
A Miami et Paris, les villas congolaises acquises grâce aux pétroliers genevois Nguesso, fils du président congolais et responsable à l’époque des ventes de pétrole dans son pays, l’un des plus pauvres et corrompus de la planète. Cette fonction faisait de Denis-Christel Sassou-Nguesso le véritable ministre des finances, puisque l’État tire près de 70% de ses revenus de l’or noir. Surnommé « Kiki », le fils du président fait la Une des journaux depuis plus de quinze ans en raison de ses dépenses somptuaires. Comme d’autres membres de sa famille, il intéresse la justice française, dans le cadre de l’affaire dite des « Biens mal acquis ».
Un conseiller spécial. A Paris, l’opération immobilière se déroule ainsi. En juillet 2010, Gunvor n’en est qu’à ses débuts au Congo. Maxime Gandzion, très officiellement « conseiller spécial » du président Denis Sassou-Nguesso, est désigné pour lui ouvrir le robinet pétrolier et va empocher de juteuses commissions sur un compte chez Clariden Leu, à Genève, une banque appartenant à Crédit Suisse. Mais cette fois, Gandzion demande à Gunvor qu’elle verse 2,18 millions d’euros à la société belge Semlex, propriétaire d’un appartement de 265 mètres carrés à la rue Daru, dans le très chic 8e arrondissement de Paris. A deux pas de la rue du Faubourg Saint-Honoré, l’emplacement est idéal pour qui veut dépenser « son » argent en bijoux, vêtements de luxe et repas gastronomiques.
Drôle de vente. La transaction donne lieu à une cession d’actions entre Semlex et Gandzion, qui récupère la société immobilière possédant l’appartement. Un rapport de la police fédérale note cependant: « En réalité, il apparaît au regard d’une chaîne de courriels que cette acquisition aurait été destinée à Denis-Christel Sassou-Nguesso.»
Nous ne sommes pas parvenus à déterminer si ce dernier a effectivement joui de ce bien en y séjournant. Heidi.news a appris que le MPC a adressé une commission rogatoire aux autorités françaises au sujet de cet appartement.
La société Semlex, qui vend l’appartement, est elle-même partie intégrante du schéma corruptif mis en place par Gunvor, comme le souligne l’ordonnance condamnant la société de négoce: « En effet, Maxime Gandzion a demandé que Gunvor verse les premières commissions prévues selon l'entente corruptive sur les comptes bancaires de sociétés tierces, soit Semlex », ainsi qu’une société offshore.
En parallèle, Semlex véhicule aussi des commissions illicites destinées à des officiels de Côte d’Ivoire, où Gunvor a également obtenu des contrats pétroliers entachés de corruption. La firme belge fait ainsi transiter plus de 3,5 millions de dollars en 2010.
Au nom du père… Peu après, Maxime Gandzion a confié l’essentiel de ces activités à son fils, Yoann, moins exposé politiquement. C’est ce dernier qui détient les comptes bancaires suisses qui déclencheront la procédure pénale du Ministère public de la Confédération.
D’après la justice suisse, une partie des commissions versées sur ce compte ont été acheminées plus loin: « Les espèces récupérées ainsi par la famille de Maxime Gandzion ont ensuite bénéficié à la famille présidentielle, particulièrement à la Première Dame de la République du Congo, Antoinette Sassou Nguesso, et au Président, Denis Sassou Nguesso. »
D’après nos informations, au printemps dernier, le MPC a convoqué Yoann Gandzion pour le confronter à ses agissements, mais l’audition a été annulée en raison de la pandémie.
Son avocat, Me Christian Lüscher, a invoqué le secret professionnel pour refuser de commenter. Il n’a pas même confirmé être le conseil de Yoann Gandzion. De son côté, le MPC indique qu’aucune procédure n’est « pour l’heure » dirigée contre ce dernier.
Paradis floridien. En enquêtant sur Gunvor, le parquet fédéral a découvert l’existence d’un autre bien appartenant à Maxime Gandzion, cette fois aux États-Unis. Le MPC confirme avoir demandé l’entraide judiciaire à Washington sans en préciser l’objet. Mais Heidi.news a appris que la justice américaine a déjà auditionné, pour le compte du MPC, le courtier ayant vendu la propriété de Miami aux Gandzion.
La transaction a lieu en automne 2011, quelques semaines avant le début de la procédure pénale. La fête bat son plein pour Maxime Gandzion. Gunvor enlève un cargo de pétrole brut par mois au Congo et l’intermédiaire empoche plus de dix millions de dollars cette année-là.
En novembre, le compte de Yoann Gandzion auprès de Clariden Leu, enregistré au nom d’une société offshore, crédite la First National Bank of South Miami de 1,52 million de dollars. Il utilise aussitôt cet argent pour acheter une belle maison située à quelques mètres d’un canal permettant de rejoindre en bateau la baie de Biscayne (voir la photo ci-dessus). Cette propriété, qui s’étend sur plus de 1800 mètres carrés de terrain bâti, a été revendue avec une plus-value de 500’000 dollars en 2019.
L’année suivante, Yoann Gandzion s’est offert, encore à Miami, un appartement dans un complexe avec piscine, à deux pas de l’océan, pour la somme de 569’000 dollars.
Séquestre. Ce n’est pas tout. En juin 2020, la justice américaine a rendu public une plainte civile prononçant le séquestre d’un bien immobilier appartenant à Denis-Christel Sassou-Nguesso, toujours en Floride. A Miami, « Kiki » a acquis en 2012 une propriété pour 2,8 millions de dollars. Situé au sommet d’un immeuble haut de près de 200 mètres, ce penthouse de 325 mètres carrés qui surplombe l’océan est doté de trois terrasses et de cinq salles de bain (voir photo ci-dessous).
Dans leur plainte civile, les autorités mentionnent l’existence d’une seconde propriété floridienne, achetée pour 2,4 millions de dollars en 2009.
Détournement sur facture. Les enquêteurs américains montrent que, pour se financer, Denis-Christel Sassou-Nguesso piochait directement dans les caisses de la compagnie pétrolière nationale, la SNPC. Ainsi, le 14 septembre 2011, le CEO de la banque de la SNPC confirme le versement de 11 millions de dollars sur le compte personnel de « Kiki », intitulé Mercuria (aucun lien avec la société de négoce portant le même nom!).
Comme pour mieux s’y retrouver dans les multiples détournements de fonds publics, le transfert indique l’objet de la « facture », qui correspond à une livraison de pétrole brut enlevée par un navire affrété la même année par Gunvor, le Athenian Harmony. La plainte ne permet pas d’établir que la société de négoce a permis ces détournements, puisqu’il s’agit ici de la gestion des deniers publics congolais.
L’homme de paille. Une fois en possession de ces fonds, Denis- Christel Sassou-Nguesso en redirigeait une partie vers les États-Unis, où l’un de ses associés a acquis en son nom ces biens immobiliers. Cet associé n’est pas nommé dans la plainte, mais Heidi.news est parvenu à déterminer qu’il s’agit de Dominique Massamba Siby. En 2012, ce Gabonais, fils d’un ancien ministre de son pays d’origine, acquiert ainsi pour 2,8 millions de dollars une propriété qu’il « revend » le même jour pour 100 dollars à Denis-Christel Sassou-Nguesso. Ce dernier l’a « revendue » quatre ans plus tard à sa seconde épouse, Nathalie Bumba-Pempe, toujours pour 100 dollars. C’est d’ailleurs pourquoi les autorités américaines considèrent que ce bien lui appartient encore au moment où elles le saisissent.
Dominique Massamba Siby est considéré comme l’homme de paille attitré du fils du président congolais. Il l’a aidé «au moins C'est au sommet de cette tour, au centre, que Denis-Christel Sassou-Nguesso s'est offert un penthouse. Jeff Greenberg / Getty Images depuis 2009» à transférer les «fonds volés» au Congo vers les États-Unis, indique la plainte qui le désigne comme l’«Associé A».
Un python, un Tchèque et la F1. Flamboyant, Siby a possédé une boutique de luxe à Miami conjuguant matériaux africains (crocodile du Nil ou python) et savoir-faire européen. Les montres, fabriquées en Suisse, et la maroquinerie, en Italie, se vendent à prix d’or – jusqu’à 50’000 dollars le sac à main estampillé Felio Siby. Il embauche le joueur de tennis tchèque Tomas Berdych comme ambassadeur et sponsorise une écurie de Formule 1. L’inauguration de la boutique, située sur l’une des artères les plus chères de Miami, s’effectue en présence de Denis-Christel Sassou-Nguesso. Cette belle aventure, présentée comme une « success story africaine » dans d’élogieux publireportages, a toutefois pris fin, sans que l’on sache si cela est lié aux procédures judiciaires.
La seconde propriété de Floride a été acquise dans les mêmes
conditions par Dominique Massamba Siby, puis «revendue» cette fois à la première épouse de Denis-Christel Sassou-Nguesso, Danielle Ognanosso. Contacté par le biais de son site Internet et de sa page LinkedIn, Dominique Massamba Siby n’a pas répondu à nos sollicitations.
Yahoo! Les enquêteurs américains, qui ont eu accès au compte email Yahoo de Denis-Christel Sassou-Nguesso, ont aussi constaté d’autres transferts importants ayant servi à lancer son train de vie « extravagant ». Plus de 500’000 dollars ont ainsi rémunéré une compagnie d’aviation privée de Genève (qui n’est pas nommée), pour transporter le fils du président congolais et sa famille.
En 2012, il dépense un montant analogue pour rénover la cuisine de l’une de ses propriétés parisiennes. Il a été surpris dans un aéroport américain avec une mallette contenant 100'000 dollars en liquide. En 2016, 850’000 dollars sont dédiés à l’achat de sept Cadillac noires, livrées au Congo. Au total, des dépenses de plus de 29 millions de dollars ont été recensées par l’ONG Global Witness.
Aux Etats-Unis, ces plaintes civiles, appelées « civil forfeiture »,
permettent de saisir des biens sans devoir prouver leur origine illicite. Il suffit d’établir que les sommes dépensées sont sans rapport avec les revenus officiels de la personne qui les détient.
En l’occurrence, Denis-Christel Sassou-Nguesso a déclaré aux autorités un salaire de 35’000 euros par mois en tant que directeur-général adjoint de la SNPC. « Il a dépensé chaque année des multiples de son revenu allégué », tranchent les enquêteurs.
Empereur. Empêtré dans une dette publique abyssale, qui résulte notamment de ses transactions pétrolières avec les négociants helvétiques, le Congo-Brazzaville a dû, sous la pression du FMI, renoncer aux services de Denis-Christel Sassou-Nguesso à la SNPC. Celui-ci n’est dès lors plus que député, dans le fief historique de son père, au nord du pays. Lequel est candidat à sa réélection le 21 mars prochain. Denis Sassou-Nguesso est président de la République du Congo depuis 1979, moins un intermède démocratique de cinq ans – il a repris le pouvoir en 1997 à l’issue d’une guerre civile. Comme l’a relevé Libération, l’inamovible dirigeant congolais vient d’être honoré du surnom d’Empereur par ses homologues ivoirien et guinéen.

