Sassou-Nguesso, l'inamovible président du Congo sacré «empereur» par ses homologues ivoirien et guinéen
Par
Maria Malagardis(https://www.liberation.fr/auteur/6919-maria-malagardis)
—
21 décembre 2020 à 08:34
A peine réélus, deux chefs d'Etat ont honoré du surnom d'«empereur» du continent l'homme fort de Brazzaville, Denis Sassou-Nguesso, au pouvoir depuis trente-sept ans. Un hommage inattendu, mais qui s'explique peut-être par le passage en force, pour un troisième mandat, de ces dirigeants.
Lors de la cérémonie d’investiture pour son troisième mandat, la semaine dernière, le président ivoirien Alassane Ouattara a surpris ses invités en révélant les surnoms qu’il attribue à certains de ses homologues africains.
Treize chefs d’Etat du continent étaient ce jour-là présents au palais présidentiel d’Abidjan. Et aussi quelques VIP, parmi lesquels
Nicolas Sarkozy, vieil ami de Ouattara (https://www.liberation.fr/planete/2012/01/26/ouattara-et-sarkozy-descopains-
d'abord_791212) , auquel il avait apporté un soutien militaire décisif pour prendre le pouvoir en 2011. Le jeu des surnoms ne le concernait pas, mais il a connu un franc succès. Suscitant rires et applaudissements nourris dans l’assistance.
On apprenait ainsi que Nana Akufo-Addo, le président du Ghana
(https://www.liberation.fr/depeches/2020/12/07/exemple-de-democratie-leghana- aux-urnes-pour-elire-son-president_1807889) , à peine réélu lui aussi, était surnommé «Double Excellence», en référence à son prénom «Nana», qui en langue locale des Ashanti signifie «excellence».
Certes sa réélection, contestée par l’opposition
(https://www.liberation.fr/depeches/2020/12/09/au-ghana-lopposition-rejette-la-reelection-du-president-akufo-addo_1808219) , entache la réputation de ce pays souvent considéré comme un modèle d’alternance démocratique pacifiée. Mais personne n’a eu le mauvais goût de le faire remarquer. Le président du Togo, Faure Gnassingbé, sera pour sa part qualifié de «jeune doyen».
N’est-il pas le fils de l’indétrônable Gnassingbé Eyadema, qui régna d’une main de fer sur ce petit pays d’Afrique de l’Ouest de 1967 à sa mort, en 2005 ? Le président ivoirien a évité cette explication de texte embarrassante, qui aurait suggéré la nature potentiellement autoritaire de cette dynastie accrochée au pouvoir à Lomé depuis cinq décennies.
Un surnom un peu gênant
Mais la palme d’or de cette distribution de surnoms revient à Denis Sassou-Nguesso, le président du Congo, carrément qualifié d'«Empereur », sous une salve d’applaudissements. Derrière son masque anti-Covid, l’intéressé semblait autant surpris que ravi.
Le lendemain, rebelote dans le pays voisin, la Guinée, où c’est cette fois Alpha Condé qui officialisait son investiture
(https://www.liberation.fr/planete/2020/10/24/enguinee-
alpha-conde-declare-vainqueur-sur-fond-de-violences_1803397) , également pour un troisième mandat. En clin d’œil à la cérémonie de la veille à Abidjan, Alpha Condé s’est lui aussi prêté au jeu des surnoms, reprenant notamment à son compte la qualification d'«empereur » pour honorer Sassou-Nguesso, à nouveau présent dans la salle. Il avait bien fait de venir. Voilà bien longtemps qu’on ne l’avait pas aussi ouvertement célébré. C’est même un peu gênant.
Car le cœur de «l’empire» du président congolais laisse à désirer, après trente-sept ans de règne. Marqué par des répressions sanglantes, une corruption sans limites et la dilapidation des richesses nationales. Le Congo est un petit pays, peu peuplé (4 à5 millions d’habitants), disposant d’immenses richesses naturelles. Et notamment de pétrole, ce qui en fait le troisième producteur d’or noir en Afrique. En principe, voilà un pays béni des dieux, ayant largement de quoi assurer la prospérité de tous ses habitants. Pourtant, 70% d’entre eux vivent avec moins d’un dollar par jour.
Les services publics sont dans un état pitoyable, les arriérés de paiements atteignent des records pour les fonctionnaires ou les retraités. Et la dette extérieure s’élève à12,5 milliards de dollars, faisant du Congo le pays le plus endetté au monde par tête d’habitant. Mais où est passée la richesse du pays ?
En 2015, une répression sanglante
En tout cas, pour «l’empereur» et sa famille, tout va bien. Les révélations sur leur train de vie fastueux – leurs dépenses effrénées, comme leur immense patrimoine immobilier aux quatre coins de la planète – doivent certes beaucoup aux innombrables enquêtes judiciaires dont ils font désormais l’objet. En France, mais aussi au Portugal, en Italie ou en Suisse. A Paris, cinq proches de l’entourage de «l’empereur» ont ainsi été mis en examen, dont sa fille Julienne, dans le cadre de l’enquête des «biens mal acquis»
(https://www.liberation.fr/france/2019/12/08/biens-mal-acquis-de-lasyrie-au-congo-petit-tour-du-proprietaire_1768018)
. Plusieurs biens immobilier sont été saisis, révélant un impressionnant catalogue d’hôtels particuliers avec piscine ou de triplex dans les beaux quartiers de la capitale. Il y a deux ans, la justice helvétique révélait pour sa part que Sassou et son fils Denis Christel, surnommé «Kiki», auraient bénéficié de «millions de dollars de pots-de-vin» de la part de la société de négoce Glencore.
En principe, ces excès devraient être sanctionnés par les urnes. Pas dans l'«empire» de l’homme fort de Brazzaville. Un changement de Constitution imposé en 2015
(https://www.liberation.fr/planete/2015/10/27/denis-sassou-nguesso-undespote-
droit-dans-ses-votes_1409319) , au prix d’une répression sanglante, lui a permis de faire sauter le verrou des deux mandats et de la limite d’âge. Et de se représenter un an plus tard, en mars 2016, à un troisième mandat
(https://www.liberation.fr/planete/2016/03/24/congo-le-president-sassoureelu- au-premier-tour-l-opposition-conteste_1441887) , lors d’élections marquées par des violences et des intimidations inouïes. Les résultats seront proclamés à2 heures du matin, dans un pays plongé dans un black-out total, téléphone et Internet coupés. Au lendemain du scrutin, le principal leader de l’opposition, le général Jean-Marie Michel Mokoko, un ancien proche de Sassou, sera arrêté
(https://www.liberation.fr/planete/2016/06/13/au-congo-l-opposantmokoko-
se-dit-lache-par-la-france_1459203) .
Puis, deux ans plus tard, condamné à vingt ans de prison. Il est toujours incarcéré à ce jour, dans le silence assourdissant de la communauté internationale.
Désormais âgé de 77 ans, l'«empereur» devrait se présenter à un quatrième mandat en mars. Officiellement il ne s’est pas encore prononcé, mais sa «majorité présidentielle» l’a déjà désigné candidat le 10 décembre, en lui demandant de céderaux «implorations et exhortations de sa base politique».
Les voix critiques en revanche sont soit en prison, soit intimidées par l’ampleur d’une répression implacable qui a déjà poussé à l’exil bien des opposants et des journalistes.
C’est donc l’homme fort de ce pays cadenassé, où aucune voix discordante ne peut se faire entendre, que deux présidents d’Afrique de l’Ouest ont sacré «empereur» ? La courtoisie diplomatique peut excuser bien des non-dits mais cet honneur résonne étrangement alors que les présidents ivoirien et guinéen ont eux aussi été confrontés à la polémique d’un troisième mandat, imposé au forceps après avoir révisé eux aussi leur Constitution.
Une défaite de la démocratie ?
En Guinée
(https://www.liberation.fr/planete/2020/11/02/en-guinee-l-opposition conteste-l-election-cote-cour_1804224) comme en Côte-d’Ivoire, les scrutins présidentiels
(https://www.liberation.fr/planete/2020/10/29/en-cote-d-ivoire-lapresidentielle-concentre-la-tension_1803888)
qui se sont déroulés en octobre se sont soldés par des violences. Elles ont fait seize morts en Guinée et jusqu’à 85 en Côte-d’Ivoire. A Abidjan comme à Conakry, des opposants ont été emprisonnés, les charges pesant contre eux ou leur lieu de détention étant parfois inconnus. Consacrant l’émergence d’une «sorte de démocratie Canada Dry»
, selon les termes de la chercheuse Leslie Varenne.
Dans une tribune publiée récemment sur le site Mondafrique
(https://mondafrique.com/afrique-de-louest-le-grand-reculdemocratique/) , elle constate que «la tradition des coups d’Etats militaires, nombreux dans cette région, s’est transformée en coups d’Etat institutionnels avec les "tripatouillages" des Constitutions» .
Ne subsisterait dès lors qu’un «vernis démocratique», derrière lequel se réfugie la communauté internationale «pour fermer les yeux et adouber le nouveau roi», souligne-t-elle, avant d’ajouter :
«Viennent ensuite les investitures, ces grands-messes entre homologues et diplomates qui, faute d’onction populaire, ont pour mission d’apporter une touche de légitimité.»
Alors que s’achève l’année 2020, le sacre de «l’empereur» Sassou-Nguesso, lors de ces investitures, consacre en réalité la reconnaissance tacite de ces coups de force.
Sur «le continent le plus riche en pauvreté et en dictatures», comme le racontait déjà en 1998 l’écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma
(https://next.liberation.fr/culture/2003/12/12/ahmadou-kourouma-ajamais-exile_455045) dans une fable épique qui évoquait le destin des hommes forts de l’Afrique francophone.
Désignés non par des surnoms, mais par des totems incarnant «les plus prestigieux des chefs d’Etat des quatre points cardinaux de l’Afrique liberticide».
Le titre de ce roman ?
En attendant le vote des bêtes sauvages
.Une façon de suggérer la défaite de la démocratie. Dont l'«empereur» et ses apôtres sont aujourd’hui les symboles.
Maria Malagardis (https://www.liberation.fr/auteur/6919-maria-malagardis