Deuxième partie
POINT DE PRESSE DU COLLECTIF DES PARTIS DE L'OPPOSITION CONGOLAISE DU 18 NOVEMBRE 2016
I- A propos du statut de l’opposition
Le projet de loi portant statut de l’opposition, introduit au parlement par le gouvernement, instaure le principe de la nomination d’un chef unique de l’opposition et propose que ce chef unique soit choisi dans le parti de l’opposition qui aura obtenu le plus grand nombre de députés après le parti ou le groupement politique majoritaire, à l’issue des élections législatives.
A ce sujet, le Collectif rappelle que sur le plan des principes, dans une démocratie digne de ce nom, les partis politiques se créent sur la base de doctrines politiques, économiques et sociales déterminées. Au Congo-Brazzaville, les partis qui se réclament de l’opposition, n’adhèrent pas tous aux mêmes doctrines et ne poursuivent pas tous, les mêmes objectifs politiques. L’opposition congolaise est plurielle. Les tendances qui la composent adhèrent à des idéologies différentes et ne défendent pas les mêmes positions sur les grands problèmes nationaux et internationaux. Dans un tel cas de figure, il ne saurait y avoir un chef unique de l’opposition, mais un chef pour chaque tendance de l’opposition, ce dernier faisant office de porte-parole de sa tendance.
L’exemple d’un pays comme la France est édifiant à cet égard. En effet, en France où les partis sont structurés selon la couleur politique (extrême droite, droite libérale, centre droit, centre gauche, socialistes, écologistes, communistes, extrême gauche), il n’y a pas un chef unique de l’opposition, mais un chef pour chaque tendance de l‘opposition (Marine Lepen pour l’extrême droite, Nicolas Sarkozy pour la droite libérale, François Bayrou pour le centre droit, Jean François Bayet pour les radicaux de gauche, Cécile Duflot pour les écologistes, Paul Laurent pour les communistes, J. Luc Melenchon pour l’extrême gauche). Chacun de ces leaders est le porte-parole de sa tendance. Dans le même ordre d’idées, au Parlement français, chaque groupe parlementaire a un chef qui est son porte-parole. Par exemple, le chef du groupe parlementaire des Républicains, groupe qui a le plus grand nombre de députés parmi les partis de l’opposition française, n’a pas la prétention d’être le chef de l’opposition en France. C’est dire que dans une démocratie où l’opposition est plurielle, on ne peut pas parler de chef unique de l’opposition. Cela relève des méthodes éculées du monopartisme. A défaut d’instituer officiellement un parti unique, le pouvoir congolais veut se donner une opposition unique, corvéable et malléable à merci.
Par ces motifs, le Collectif des partis de l’opposition dit résolument non à la nomination par le gouvernement d’un chef unique de l’opposition. En revanche, le Collectif marque son accord pour l’élaboration consensuelle et l’adoption d’un statut particulier de l’opposition, garantissant à cette dernière, le libre exercice de ses activités, la liberté d’aller et de venir, la liberté de réunion, de cortège et de manifestation pacifique, le libre accès aux médias et aux espaces publics de réunion, l’accès juste et équitable au financement public, la participation équitable à toutes les phases du processus électoral, la sécurité et l’intégrité physique de ses dirigeants et de ses militants, bref, la reconnaissance du droit à la différence, la tolérance, l’arrêt de toutes les tracasseries et vexations contre les acteurs politiques de l’opposition.
II. A propos de la mise en place d’un Conseil national du dialogue
En France, un adage dit : « Quand on veut enterrer un problème, on crée une commission ». Ramené au champ politique congolais, cet adage pourrait être traduit comme suit : « Au Congo, quand on veut enterrer un problème, on crée une institution constitutionnelle». En effet, la Constitution de 2002 avait créé une multitude d’institutions constitutionnelles, chargées de résoudre tel ou tel grand problème national. Parmi elles, la Cour des comptes et de disciplinaire budgétaire, la Commission nationale des droits de l’homme, le Conseil économique et social, le Conseil supérieur de la liberté de communication, le Médiateur de la République, la commission de lutte contre la corruption.
On aurait pu penser qu’avec la création de toutes ces institutions, les crimes de corruption, les crimes économiques, les détournements des deniers publics, l’enrichissement illicite, l’appropriation personnelle des biens publics seraient sévèrement punis. Au contraire, aujourd’hui dans notre pays, l’impunité est érigée en méthodes du gouvernement et les délinquants en col haut bénéficient du statut d’intouchable. Dans la même optique, la création des institutions constitutionnelles citées supra, aurait pu laisser supposer que les droits humains seraient désormais mieux défendus, que les libertés fondamentales seraient respectées, que les valeurs de la démocratie et de la République seraient promues. Il n’en est absolument rien.
Dans la pratique, les institutions constitutionnelles suscitées ne jouent pas le rôle que leur a dévolu la Constitution. Par exemple, le Conseil supérieur de la liberté de communication s’est transformé en organe de censure, ce qui est totalement à l’opposé de sa vocation. L’Assemblée nationale, le Sénat, la Cour constitutionnelle, la Cour des comptes et de disciplines budgétaires qui devraient servir de contrepoids au pouvoir exécutif ont abdiqué leurs missions et se sont mués en des instruments au service du pouvoir. On peut dès lors se poser la question de savoir : « à quoi servira le Conseil national du dialogue que le pouvoir se propose de mettre en place ? ».
Au regard de sa composition (les anciens présidents de la République, les anciens Premiers ministres, le président de l’Assemblée, le président du Sénat, le Premier ministre en fonction …) et l’autorité de tutelle du Conseil (le président de la République), tout indique qu’à l’instar des autres institutions constitutionnelles existantes qui ont toujours fait triompher le fait du prince et le fait accompli, le Conseil national du dialogue ne sera rien d’autre, qu’un nouvel instrument au service du pouvoir pour museler l’opposition et imposer au peuple congolais, la politique anti-démocratique, antisociale, antipopulaire et néo-patrimoniale à l’œuvre depuis le retour au pouvoir du président Denis Sassou Nguesso. Par ailleurs, dans les conditions d’aujourd’hui, caractérisées par une crise financière sévère, il n’est pas opportun de mettre en place une nouvelle institution budgétivore qui ne ferait qu’ajouter aux difficultés financières de l’Etat.
En tout état de cause, le Collectif proclame qu’il ne faut absolument pas noyer dans le cadre du Conseil national du dialogue, comme tente de le faire actuellement le pouvoir, cet événement politique extraordinaire, qu’est le dialogue politique national inclusif, rendu obligatoire par les enjeux politiques de l’heure, et qui a pour vocation, de rompre avec l’ordre politique ancien et de rassembler toute la classe politique, pour rechercher ensemble, des solutions appropriées à la crise sécuritaire, politique, électorale, économique, financière, sociale et morale qui mine actuellement le Congo.
Parce que cette crise est gravissime et parce qu’elle appelle des solutions consensuelles, fortes et urgentes, le dialogue politique inclusif est un impératif catégorique. Il doit être obligatoirement tenu dans les meilleurs délais et hors du cadre du Conseil national du dialogue. De même, pour garantir une participation équitable de toutes les parties prenantes, un climat apaisé aux débats, l’efficacité et un meilleur suivi des décisions consensuellement adoptées, le dialogue politique inclusif doit être placé sous l’égide de la communauté internationale. Ce dialogue est la seule alternative qui s’offre au Congo aujourd’hui. Hors de cette voie, il n’y a point de salut pour notre pays. Le moment est venu pour la mouvance présidentielle et pour l’opposition de s’élever au-dessus de leurs intérêts partisans et de donner la priorité au Congo. En avant donc pour le dialogue politique national inclusif, en vue de remettre le Congo sur de bons rails.